Maison normande (photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand).
En se promenant dans le fin fond de la campagne normande, qui ne s’est pas arrêté un jour devant une de ces maisons à colombages et au toit de chaume enrubanné d’iris ? Qui ne s’est pas trouvé charmé par tant de grâce et d’authenticité ? Il suffit en plus de quelques pommiers en fleurs au premier plan et de quelques vaches paissant paisiblement et voilà le cliché universel qui symbolise notre belle province.
La véritable maison normande, ce n’est pas n’importe laquelle. C’est une maison en terre, de la terre de son pays. Une maison qui s’intègre parfaitement à son environnement, dans un équilibre végétal-minéral harmonieux, modulé au fil des ans. C’est une maison de tradition qu’il s’agit de préserver, dans ses fondements et aussi dans son esprit. Car le patrimoine architectural, ce n’est pas seulement le château illustre ou le manoir classé du canton, c’est aussi la modeste maison du village, c’est la ferme des ancêtres et ses bâtiments annexes… Ce sont ces constructions paysannes, souvent de grande qualité, émouvantes dans leur simplicité et leur grande diversité, témoins de civilisations rurales dont pour ainsi dire nous sommes tous issus.
Sur la route des chaumières : une maison normande (photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand).
Muret. Silex & torchis (photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand). | L'harmonie du paysage (photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand). |
Le respect de la nature
Il faut savoir que les anciens qui construisaient ces maisons avaient un outillage fort réduit et que, de plus, les moyens de communication étaient pénibles, pour ne pas dire inexistants. Ils étaient donc contraints de travailler avec ce qu’ils avaient sous la main et en premier lieu avec les matériaux qu’ils pouvaient trouver sur place. C’est ainsi qu’ils utilisaient les moellons de silex pour les soubassements, les bois de chêne pour les colombages, la terre argileuse de leur terrain mélangée à des fibres diverses, des éclisses de coudrier ou gaulettes de châtaignier pour le remplissage des murs, le calcaire des marnières de la région pour le badigeon de chaux et les enduits de finition, les roseaux des marais liés avec des tiges de ronces tirées des haies pour les couvertures. Et ils construisaient ainsi dans un respect absolu de la nature, avec simplicité, avec amour, après avoir observé les facteurs essentiels de leur cadre de vie : climat, vents, ensoleillement, végétation.
Pour construire aujourd’hui ou pour restaurer une maison ancienne, il est nécessaire de bien s’imprégner de tous ces éléments comme pouvaient le faire les maçons de l’époque. En remarquant en passant que l’habitat normand diffère quelque peu d’une région à l’autre, que ce soit en Pays Cauchois, en Pays de Brais ou en Pays d’Auge. Mais d’une façon générale la plupart des constructions à pans de bois sont hourdées en torchis avec quelquefois des remplissages en briques, notamment pour certaines maisons du département de l’Eure. A noter toutefois que c’est en Haute Normandie que l’emploi d’un boissage rempli d’un torchis en guise de mur est le plus utilisé. En Basse-Normandie, à l’exception du Pays d’Auge et du Sud de la province, cette méthode n’apparaît guère que dans les bâtiments secondaires, c’est-à-dire dans les granges, hangars et annexes.
Le squelette de la bâtisse
Bien sûr il existe à la base de toute maison traditionnelle en colombages un soubassement (solin) composé de pierres et silex. Ce soubassement, d’une hauteur moyenne de 80 cm, est destiné d’une part à éviter les remontées d’humidité, d’autre part à servir d’assise solide à la sablière basse (forte pièce de chêne sur laquelle reposent les poteaux ou écharpes de colombages). Le torchis est le matériau qui remplit l’ossature de la construction. Il est constitué de terre argileuse et de fibres végétales, paille de blé ou d’orge et même de foin. Il est utilisé pour le remplissage entre les colombes des maisons à pans de bois. C’est un matériau non porteur d’une solidité remarquable et un isolant thermique et humidifuge à nul autre pareil.
C’est sur l’ossature en bois que se fixe le torchis qui sera le mur de l’habitation. Mais auparavant il s’agit de monter entre les poteaux, ou colombes, une âme de clayonnage qui servira d’armature. Cette armature est constituée de lattes en sapin sur lesquelles sont disposées horizontalement des gaulettes, ordinairement de jeunes pousses de châtaignier refendues en deux, de section plus forte que les lattes, de façon à former comme un treillis de bois. On peut aussi resserrer l’ossature par des éclisses en bois agencées en croisillons. Tout dépend de l’écartement entre les colombages et entre les lattes, et aussi si on veut laisser les colombes apparentes de l’extérieur ou des deux côtés du mur. Ce qui donne une structure de colombages plus ou moins serré, plus ou moins lâche. La trame étroite se trouve en général en Pays de Caux et dans le Roumois, et aussi en Pays d’Auge, la trame moyenne en Pays d’Ouche et la trame lâche en Pays de Bray.
Le limon argileux
Dans la construction des maisons paysannes, le matériau prédominant pour l’édification des murs est l’argile, qu’il soit celui des limons des plateaux ou cette argile à silex que l’on trouve en abondance dans le sous-sol de la Haute-Normandie. L’utilisation de cette terre crue pour les constructions remonte à l’Antiquité, comme on a pu le prouver au cours de fouilles archéologiques en Egypte où l’art de bâtir du temps des pharaons consistait à façonner des briques de terre argileuse que l’on laissait sécher au soleil et qui étaient ensuite empilées et montées à l’aide d’un mortier de composition identique. C’est la technique de l’adobe que l’on peut rencontrer en Normandie comme du temps de la Gaule antique, et aujourd’hui encore dans la région de Thibouville, non loin de Bernay. Ainsi le vieux mur dans la chaumière de Madame Chantal Mesnil que l’on a découvert avec surprise lors du stage de torchis organisé par « Maisons Paysannes de l’Eure » auquel nous avons assisté.
Avant de préparer le torchis, il est indispensable de connaître la composition de la terre l’on va employer. La bonne terre est un limon argileux, c’est-à-dire une terre fine comportant maximum entre 15 et 20 % d’argile. Elle ne doit être ni trop argileuse ni trop sableuse. En cas de doute il est conseillé de faire un essai de préparation sur un échantillon de terre que l’on aura roulé en boule, humidifié et fait sécher quelques jours. Si la terre présente un fort retrait et des fissures en surface, celle-ci est probablement trop argileuse. Il convient de lui redonner du « corps » en lui ajoutant du sable (entre 10 et 25 %). Si la terre s’effrite facilement au toucher, la terre est trop sableuse et il faut peut-être creuser plus profondément. Pour une préparation manuelle, les quantités suivantes sont préconisées : 2 volumes de terre pour 1 volume d’eau et 1 volume de paille.
Pour une préparation mécanisée avec un malaxeur adapté, on peut prévoir un torchis à base de paillettes de lin (donc associé à une structure d’accroche dense), il est recommandé : 1 volume de sable fin de rivière, 3 volumes de terre, 1 volume d’eau, 1 à 1,5 vol. de paillettes de lin.
La préparation du torchis
Au hameau de la Conardière aux environs de Bernay, devant la chaumière de Mme Mesnil, M. Christian Sutter, président de l’Association « Maisons Paysannes de l’Eure », nous a parlé d’un test infaillible pour connaître la composition du terrain. Il suffit de verser une certaine quantité de terre dans un flacon en verre que l’on remplit d’eau. En laissant décanter après avoir agité le flacon on constate que le sable s’est déposé au fond, surmonté d’une couche de limon plus ou moins épaisse avec au-dessus une suspension d’argile. Suivant l’épaisseur de chaque constituant, on connaît le pourcentage. « Mais, nous a-t-il affirmé, la terre est bonne ici. On a directement pris de la terre du verger de cette maison pour en refaire le mur ouest. »
Dans l’Eure, devant une chaumière en cours de réhabilitation, la confection du torchis (photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand).
Le torchis peut donc être préparé par soi-même quand il s’agit notamment de faibles quantités. La technique est assez simple mais physiquement relativement pénible. La première opération consiste à étaler le limon argileux sur le sol de façon à pouvoir le travailler. On en brise les éventuelles mottes à l’aide d’une fourche, puis on l’arrose abondamment et on le foule au pied pendant un bon moment. On incorpore ensuite à cette terre malaxée une bonne dose de paille, environ un volume de paille pour un volume de terre. On peut utiliser de la paille d’orge ou même de blé que l’on hache en morceaux plus courts, mais aussi de la fibre de lin, et même du foin, en employant toujours la bonne méthode du malaxage par piétinement, entrecoupée de quelques retournements à la fourche jusqu’à l’obtention d’une pâte homogène, gage de qualité.
Il est possible de trouver du torchis prêt à l’emploi chez certaines briqueteries spécialisées. La briqueterie Lagrive à Glos, près de Lisieux, fournit à la demande du torchis à l’ancienne, facile à poser. Il est composé du limon argileux d’une carrière toute proche sur le plateau, exploitée d’une façon industrielle par cette entreprise respectueuse des traditions. Cet argile est mélangée à de la paille grâce à un malaxeur de grande capacité et suffisamment puissant pour fournir un produit homogène, humidifié à l’avance. Il faut prévoir 1 m3 de ce torchis pour couvrir 10 m2 d’un mur à colombages en 15 cm d’épaisseur, nous a-t-on précisé. Une belle démonstration nous en a été donnée en visitant le Musée du Terroir à Conches (Eure) où seront exposées les plus belles pièces de l’outillage de notre patrimoine rural. Cette belle maison à colombages, entourée de verdure et des bras de la rivière Rouloir, a été entièrement reconstruite dans la tradition normande, comme nous l’a expliqué Gilbert Gossmann, maçon spécialiste du torchis, qui s’était fait un plaisir de nous conduire sur le chantier de ce musée alors que le torchis en provenance de Glos était prêt à recevoir l’enduit.
La mise en œuvre
Le torchis doit impérativement être posé humide sur un lattage lui-même abondamment arrosé. Il est même recommandé de mouiller en plusieurs fois linteaux et colombages afin d’obtenir une meilleure adhésion de l’ensemble lors du colmatage. Il faut d’ailleurs se méfier d’une trop grande chaleur, dans ce cas prévoir une bâche pour couvrir le torchis préparé, et des grands froids, car en cas de gel l’eau interne peut provoquer de graves désordres dans le mur. C’est pourquoi la période de pose du torchis s’étend d’avril à octobre, exclusivement.
En ce qui concerne la pose du torchis, on distingue plusieurs méthodes suivant la structure des supports. Ainsi on utilise le torchis tressé sur les éclisses. On prépare à la main de longues tresses, ou teurques, de torchis que l’on serre autour des éclisses après les avoir trempées dans une barbotine de limon argileux. Sur les gaulettes on plaque le torchis à cheval avec des fibres plus longues et en s’appuyant sur les poignées précédentes. Les murs sont ainsi montés, poignées par poignées, teurques après teurques. Après quelques heures, on retire de la surface du mur l’excès de torchis en veillant à « resserrer » si nécessaire. Ensuite le mur est lissé avec une truelle. On n’oubliera pas en finale de strier la surface ainsi constituée afin d’assurer un parfait accrochage de l’enduit.
De l’intérieur de la maison, des têtes apparaissent derrière les ouvertures (photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand).
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Le torchis à l’état brut doit être protégé, ne serait-ce que du ravinement des eaux pluviales. Il faut de toute façon attendre au moins trois semaines de séchage du torchis, en tenant compte des conditions climatiques et de l’exposition pour appliquer l’enduit. Celui-ci est constitué principalement de chaux et de sable. La terre quant à elle, de même nature que celle employée pour la préparation du torchis, colore l’enduit et sert de liant avec le support.
Il est nécessaire que cet enduit puisse permettre aux murs de terre de respirer. C’est pourquoi tout enduit à base de ciment par exemple est à proscrire. On emploiera donc de la chaux aérienne éteinte (CAEB), la seule qui prend et durcit au contact du gaz carbonique contenu dans l’air, avec si possible un peu de chaux hydraulique naturelle qui accélère la prise de l’enduit. La composition idéale pour un enduit sans problème est donc : 3 volumes de sable de rivière, 1 volume de chaux aérienne, 1/6 volume de chaux hydraulique naturelle, 1,5 volume d’eau, 1,5 volume de terre et 1 à 2 volumes de paillettes de lin. Cet enduit, que l’on peut préparer dans une bétonnière assurera une parfaite isolation tout en favorisant l’échange d’humidité entre l’intérieur et l’extérieur de la maison. Après avoir mouillé le mur avec un pulvérisateur, la mise en œuvre de cet enduit est réalisée en monocouche par projection à la truelle en le serrant bien contre les colombes. D’abord lissé grossièrement pour le mettre au niveau du nu extérieur, il est brossé quelques heures après afin d’activer sa recarbonatation et d’enlever la laitance de chaux qui se dépose.
Chaume et torchis une remarquable réalisation normande. La chaumière d’un spécialiste en cours de finition des travaux (photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand).
La maison idéale, la maison en terre
Dans la recherche de l’authenticité de notre patrimoine, ainsi revient-on aux bonnes méthodes de construction de nos anciens. Le torchis en fait partie, de même que le chaume qui couvre avec tant de grâce nos chaumières normandes (voir Patrimoine Normand n°29, octobre 1999). Que ce soit pour construire ou pour restaurer une maison de chez nous, le torchis qui était en voie de disparition revient en force dans notre région. Et c’est tant mieux pour notre environnement que pour l’habitant lui-même qui retrouve ainsi un confort inégalé.
Certains organismes, certains artisans, ont bien compris l’intérêt de cette forme de construction. Comme si on le redécouvrait ! L’association « Maisons Paysannes de l’Eure », antenne de « Maisons Paysannes de France », très attachée au savoir-faire local, organise chaque année des stages spécialisés à l’intention des artisans comme à celui des amateurs qui veulent se lancer dans la restauration de leur chaumière. Le Parc des Boucles de la Seine Normande, entre Rouen et Le Havre, favorise et aide à ce genre de construction en formant notamment des maçons à cette technique et en prêtant au besoin une bétonnière transformée en malaxeur, en dépôt chez Dominique Meslin, l’un des 18 maçons que compte aujourd’hui l’Association des Artisans du Torchis. De même opère le Parc Régional des Marais du Cotentin et du Bessin qui conseille et soutient (en partenariat avec le C.A.U.E. de la Manche) toute initiative en faveur des « Maisons en terre ».
C’est que les maisons en terre comme on les appelle, ces maisons en colombages et en torchis que l’on admire et que l’on aime, qui font partie intégrante de notre paysage typique normand, ont un bel avenir devant elles…
Bonjour, je cherche à faire construire une maison et je voudrais me tourner vers un constructeur traditionnel. Avez-vous des adresses de constructeur traditionnel "labelisés"? Par exemple qui a construit la maison que l'on voit au début de l'article dont la légende est "le squelette en bois d'une maison traditionnelle"? Merci bien !
Oui, très instrucrif !
sacré article avec de belles photos ! bien rédigé et bien documenté ! merci ! à la revoyure !
PRATIQUE
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