Question de notoriété
Si l’on nous demande quel est le Normand le plus célèbre de l’Histoire, le nom de Guillaume le Conquérant nous vient spontanément à l’esprit. Pensez, un prince qui traverse la Manche pour aller battre la puissante armée saxonne à Hastings, et qui s’assoit dans la foulée sur le trône d’Angleterre, le 25 décembre 1066, fondant au passage une dynastie qui porte toujours la couronne, presque mille ans plus tard… Qui dit mieux ?
Et pourtant, à y regarder de plus près, c’est une autre personnalité que nous devrions avoir en tête : Thérèse Martin, née à Alençon le 2 janvier 1873, obscure petite religieuse décédée derrière les murs de son Carmel de Lisieux à l’âge de 24 ans, dans l’anonymat le plus total. Traversez l’Atlantique pour gagner les faubourgs de Mexico et avancez les noms de Guillaume et de Thérèse : à l’évocation du premier, votre interlocuteur roulera des yeux aussi ronds qu’interrogateurs ; la seconde, en revanche, en appellera à son mysticisme et éveillera en lui un profond sentiment religieux. Même chose chez les catholiques du Brésil, des États-Unis, des Philippines et de tous les autres archipels du Pacifique, mais aussi en Italie, en Espagne, en Pologne…
En France de même, lorsque vous poussez la porte de la plupart des églises, vous découvrez une statue de la petite normande, serrant contre son cœur un crucifix et un bouquet de roses. Le nombre de cierges scintillant à ses pieds et les ex-voto fixés aux murs achèveront de vous convaincre de la vivacité de son culte.
En cette année 2023, alors que nous célébrons le centenaire de la béatification de « sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face », mais aussi les 150 ans de sa naissance, la prestigieuse UNESCO a choisi d’honorer sa mémoire pour sa biennale 2022-2023. Pour justifier cette décision, l’organisation mondiale a avancé : « la célébration de cet anniversaire contribuera à apporter une plus grande visibilité et justice aux femmes qui ont promu, par leurs actions, les valeurs de la paix. Étant donné la célébrité de Thérèse de Lisieux dans la communauté catholique (la ville de Lisieux étant le second lieu de pèlerinage de France après Lourdes), la célébration de son anniversaire peut être une opportunité de mettre en valeur le rôle des femmes au sein des religions, dans la lutte contre la pauvreté et la promotion de l’inclusion. »
Bien au-delà de l’aspect religieux, que l’on soit croyant ou non, comment ne pas souscrire à cette intention de mettre en avant le rôle des femmes, quand l’obscurité s’abat sur l’Afghanistan ou sur l’Iran, voire sur les États-Unis et certaines de nos banlieues ? Idem pour la pauvreté et la famine, endémiques dans bien des pays. Quant aux « valeurs de la paix », il suffit de tourner nos regards vers l’est de l’Europe, où l’impérialisme d’une nation nostalgique de sa grandeur présumée perdue met à feu et à sang un pays pacifique, jetant son peuple dans la misère et l’exode.
Qu’un peu de la lumière de Thérèse rayonne du côté de Kaboul, Téhéran, Sievierodonetsk…
Stéphane William Gondoin et la rédaction