Le plus grand d’entre tous : Guillaume, 7e duc de Normandie. Universellement connu sous le nom de Guillaume le Conquérant, il trône à Falaise sur sa place éponyme. Sa statue équestre est dominatrice, empreinte d’un fougueux élan guerrier, à l’image de sa vie qui a hissé notre duché parmi les plus puissants de l’Europe des XIe et XIIe siècles. Seule petite erreur de l’artiste : sa moustache, plus gauloise que normande ! Aux pieds de sa monture, les six petites statues des ducs qui l’ont précédé (Rollon, Guillaume Longue-Epée, Richard Ier, II et III, Robert le Magnifique) bénéficient du même classement que l’œuvre principale. En 1837, l’occupant du château du Val-Richer, François Guizot, alors ministre de la fonction publique, décide d’ériger une statue à Guillaume de Normandie, en sa ville natale de Falaise. Sa conception est confiée au sculpteur Rochet. L’œuvre de bronze est inaugurée quatorze ans plus tard, le 26 octobre 1851. L’artiste y adjoindra en 1875 sur son piédestal en granit les statues de ses ascendants, auxquelles il ne faut attacher aucun caractère de ressemblance avec les modèles qui n’ont laissé d’eux aucun portrait. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand)
Comme partout en France, le XIXe siècle a vu fleurir une abondante statuaire destinée à distinguer des personnages de la région, ou qui ont tenu en Normandie un rôle important. Treize de ces œuvres en bronze, dues au ciseau d’artistes de renom, viennent d’être officiellement inscrites au titre des Monuments Historiques par la préfecture de Basse-Normandie.
Cela faisait quatre ans que la Direction Régionale des Affaires Culturelles menait une étude thématique afin de procéder, d’abord à un recensement, puis à un tri raisonné de ces monuments d’un genre particulier. En 2005, la Commission régionale du patrimoine et des sites présente sa sélection, d’où treize d’entre eux sortiront du lot. Selon quels critères ? Ils sont au nombre de deux : l’originalité de la composition, et son caractère parfaitement représentatif. On a donc pris en compte, non seulement l’aspect historique significatif d’un personnage ou d’une situation, mais surtout l’intérêt artistique des œuvres représentatives de la sculpture publique du XIXe siècle, en considérant la qualité du portrait, la notoriété du sculpteur, celle du personnage représenté, l’inscription du monument dans l’histoire locale ou régionale, et enfin l’intégrité dans laquelle le monument est resté par rapport à l’œuvre originale.
Les statues équestres sont particulièrement prisées. Celle de Napoléon Ier domine la rade de Cherbourg depuis le 8 août 1858, jour de son inauguration en présence de la reine Victoria et du prince Albert, hôtes de l’empereur Napoléon III et de l’impératrice Eugénie. Le couple impérial, qui séjourne à Cherbourg du 4 au 8 août, en a profité pour ouvrir la ligne de chemin de fer entre le port et la capitale, et pour parrainer la mise à l’eau du second bassin de l’arsenal (bassin Napoléon III). C’est Armand Le Véel (1821-1905) qui, en juin 1855, emporte le concours organisé l’année précédente ; il avait proposé une œuvre de circonstance : Napoléon Ier face aux travaux de la rade et de la digue, remis à l’ordre du jour en 1803, et inspectés par ses soins en 1811. Un hommage avait été rendu à l’empereur le 8 décembre 1840, lors de l’escale à Cherbourg de La Belle Poule, chargée de ses cendres parties de Ste-Hélène le 15 octobre. (Photo Thierry Georges Leprévost © Patrimoine Normand)
Autre statue équestre : Bertrand Duguesclin, place Saint-Martin à Caen, œuvre d’un sculpteur natif de Torigni, Arthur Jacques Le Duc (1848-1918), également auteur de l’ensemble commémoratif de la bataille de Formigny du 15 avril 1450 (achevé en 1903), qui marque en Normandie la fin de la guerre de Cent Ans, sauvé de la fonte pendant l’Occupation par son caractère anti-anglais. La veuve d’Arthur Le Duc offre à la ville de Caen la statue de Duguesclin en 1922. Le soudard breton jouit en Normandie d’un culte qui peut surprendre. Dans les années 1360, Charles de Navarre occupe une partie du pays de Caux, le pays d’Evreux, le Cotentin et l’Avranchin. Contre lui, en 1362, le dauphin Charles (qui sera couronné le 8 avril 1364 sous le nom de Charles V) fait appel à ce mercenaire qui reprend Mantes et Meulan, et bat l’armée navarraise à Cocherel. Nommé capitaine général du duché de Normandie et comte de Longueville, Duguesclin laisse ses Grandes Compagnies vivre sur le pays conquis qu’ils ont tôt fait de ravager. Devenu connétable en 1370, il revient en 1378 pour combattre les Anglais. Pendant ce temps, Caen et Rouen restent sous la couronne de France ; leurs milices combattent en Cotentin et à Longueville aux côtés du chef routier ; c’est sans doute la raison pour laquelle on le connaît dans ces villes sous l’appellation « le bon connétable », qui ne devait pas être du goût de l’ensemble de la population normande victime de ses exactions. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand)
Louis XIV en empereur romain semble avoir toujours dominé la place Saint-Sauveur de Caen. En réalité, cette statue se trouvait depuis le 24 avril 1828 place Royale, devenue en 1883 place de la République ; cette année-là, on enlève l’œuvre pour la remplacer par… un kiosque à musique ! Une première statue du Roi-Soleil sur cette même place avait été décidée en 1684 ; cette sculpture en pierre signée du Caennais Jean Postel est renversée et brisée pendant la Terreur, de sorte que le conseil municipal vote par délibération du 21 décembre 1819 le remplacement (cette fois-ci en bronze) de l’effigie de Louis-le-Grand, qui avait visité Caen le 5 septembre 1685, « cette ville connue pour son dévouement à ses Rois ». On confie la tâche au Parisien Louis-Messidor-Lebon Petitot, dit Louis Petitot, ancien pensionnaire du roi à l’académie de France, auteur de nombreuses œuvres académiques ou allégoriques, dont trois statues de Louis XIV. Sa composition générale, nous apprend le procès-verbal d’inauguration, a été déterminée d’après le choix fait entre divers projets de l’artiste par une commission de l’Institut, à laquelle le corps municipal en avait référé. Suivant l’intention qui a présidé à cette composition, la statue représente le monarque au moment où, rentré triomphant en France, il s’occupe du bonheur et de la gloire intérieure de son royaume par les encouragements qu’il donne aux sciences, aux arts et au commerce. En septembre 1827, pendant les travaux, la dauphine Marie-Charlotte passe à Caen où elle scelle « solennellement de sa main le bloc de marbre qui couronne le piédestal ». (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand)
Contrairement aux scènes animalières ou mythologiques, plus décoratives et moins connotées idéologiquement, qui ornent çà et là nos parcs, jardins ou promenades, les monuments commémoratifs constituent au XIXe siècle un phénomène d’ampleur nationale, principalement lié au culte des grands hommes, les mêmes qu’on trouve alors dans les livres scolaires. Pourtant, si la IIIe République a effectivement livré son lot de figures exemplaires au parcours édifiant, ces statues lui préexistent : la Restauration, la Seconde République et le Second Empire n’en sont pas exempts. Tout comme la statuaire médiévale des églises et des cathédrales était le catéchisme des analphabètes, la sculpture du XIXe est un moyen d’offrir au peuple « un livre d’histoire en bronze ».
Parmi les monuments distingués, on dénombre trois chefs d’état (Guillaume le Conquérant, Louis XIV, Napoléon Ier), trois artistes (Jean-François Millet, Marie Ravenel, René Castel), quatre militaires (Anne Hilarion de Tourville, Jean-Marie Valhubert, Armand François de Briqueville, Bertrand Duguesclin) un homme politique (Charles-François Lebrun), une sainte (Jeanne d’Arc) et un événement (la bataille de Formigny), certaines catégories se recoupant quelquefois, les chefs d’état étant aussi des militaires (tout comme la sainte !) et des hommes politiques ; ou ces derniers d’anciens militaires ; et la bataille met en scène le connétable de Richemont et Jean de Clermont.
Le monument commémoratif de la bataille de Formigny. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand)
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