La belle histoire d'Annette Poulard (© Patrimoine Normand).
LA BELLE HISTOIRE D'ANNETTE POULARD
LA DAME DU MONT SAINT-MICHEL
En 1872, le Mont Saint-Michel retrouve ses lettres de noblesse, la fin d'un règne carcéral de cinquante années et la mise sous tutelle des monuments historiques.
Édouard Corroyer, architecte en chef des monuments historiques se voit confier la charge de restaurer l'abbaye du Mont Saint-Michel. Entreprise considérable car tout était à refaire. Pour étudier le monument, dresser le plan de restauration et diriger les premiers travaux, Monsieur Corroyer doit faire des séjours fréquents et prolongés au Mont Saint-Michel. Il emmenait sa femme, sa fille et sa servante, Annette Boutiaut.
C'est au cours de l'un de ces voyages d'études qu'Annette Boutiaut rencontra un fort joli garçon du pays : Victor Poulard, fils aîné du boulanger.
Le charretier et la charrette à chevaux qui, à travers la baie, emportaient ces quatre étrangers vers le Mont Saint-Michel ne pouvaient s'imaginer que tous allaient jouer un rôle si incroyable et si décisif.
Il leur faudrait leurs vies. Mais leurs noms, leurs actions, et l'époque même, tout se conjuguer pour que ce cocktail aussi étrange qu'imprévisible fasse rayonner aux quatre coins du monde ce Mont Saint-Michel qui s'était endormi, oublié et terni.
Voici l'histoire où des personnages, aussi fous que le Marquis de Tombelaine, sorti tout droit d'un livre de légendes, aussi illustre que Clémenceau ou Léopold II se sont croisés. Tous ont aimé la « Mère Poulard ».
Voilà pourquoi, moi qui ai dirigé son hôtel et son restaurant, j'ai envie aujourd'hui de vous raconter son histoire... Que seule la vie pouvait inventer.
Annette est une adorable fille de 21 ans quand elle arrive au Mont Saint-Michel, brune aux yeux clairs, elle a ce charme des gens simple pour qui la vie est évidente : seul le travail est important. Droite, honnête, très intelligente... Elle accompagne donc ses patrons dans cet étrange voyage.
Ils furent subjugués par cette énorme forteresse noire qui se découpait dans cette baie grise et froide : la digue n'existait pas encore. Perdu entre le ciel et la mer, le Mont Saint-Michel donnait à cette époque une impression des plus austères.
Pour traverser cette baie, on empruntait une charrette tirée par des chevaux. Un « pique sol » vérifiait la solidité du passage. Les sables mouvants changeaient de place constamment. La force des marées, le vent, les sables commandaient l'aide d'un spécialiste. La peur, le vent, le froid, tous ces désagréments, Annette saurait s'en servir plus tard.
Vue générale du mont Saint-Michel. 1872 - Delmaet, Hyacinthe-César.
Mais le Mont Saint-Michel réserve bien des surprises à nos voyageurs. Pour Edouard Corroyer ce sera un amour fou pour ce monument qu'il appel si affectueusement : Mon Saint-Michel. Et il y a aussi Victor Poulard, enfant du pays, blond aux yeux si clairs, robuste, charmeur, fils du boulanger, qui, un jour de grande marée, avait pris dans ses bras la belle Annette pour l'aider à descendre de la barque qui reliait le continent.
Les Corroyer étaient des gens bons et... pratiques. Devant l'idylle naissante d'Annette et Victor et de fréquents voyages, la réalité était toute simple : aucun endroit n'était digne d'accueillir la famille Corroyer. Il faut dire qu’à l'époque le tourisme n'existait pas. Seuls les Montois, pêcheurs de crevettes et les familles de bagnards fréquentaient le Mont Saint-Michel et maintenant ces derniers avaient dû aussi déserter la forteresse. Les Corroyer savaient qu'ils devraient passer beaucoup de temps au Mont Saint-Michel. La tâche était rude, les années carcérales avaient irrémédiablement abîmé l'architecture, cloisonné des salles, détruit des fresques et il n'y avait eu aucun entretien depuis des années. L'idée d'aider Annette et Victor à s'installer est donc venue tout naturellement à ces érudits qui fréquentaient ces milieux très parisiens et très protégés. Rien que de plus simple alors d’inviter leurs amis à découvrir cet endroit fou et magique où les pèlerins étaient encore dans toutes les mémoires mais n’avaient pas repris leur bâton.
Voici comment, avec l'aide de ses patrons et amis, Annette et Victor ouvrirent donc l'auberge « Teste d'Or » (à l'emplacement actuel de La Poste). Rapidement dans les salons de Paris, toujours à la recherche de nouveaux endroits à découvrir et grâce aux relations de Corroyer, l'affaire devint très vite prospère. Mais l'argent n'attire pas toujours le bonheur et souvent décuple la jalousie. Le frère de Victor, voyant « la belle affaire » et propriétaire de l'endroit, expropria Annette et Victor pour reprendre à son comte l'Auberge « Teste d'Or ». Devant tant de difficultés, Annette réagit très violemment. Econome (elle avait d'ailleurs appris à lire et à compter pour tenir son affaire) et ayant maintenant suffisamment d'argent après avoir rembourser les Corroyer, elle décide de construire son hôtel.
Elle acheta les première maisons à l'entrée du Mont Saint-Michel, déjà dans un souci d'être « les premiers en arrivant », en restaurant l'une et détruisant l'autre, qui menaçait ruine. Sur l'emplacement de cette dernière, elle créa la salle du restaurant ainsi que son hôtel. C'est l'hôtel-restaurant d'aujourd'hui avec ses grandes baies (révolutionnaires pour l'époque).
La roche du Mont Saint-Michel ornait déjà la salle du rez-de-chaussée ainsi qu'une superbe cheminée qu'Annette aimait tant car c'était bien sûr elle qui faisait la cuisine au feu de bois. À l'heure de la retraite, elle irait jusqu'à faire reconstruire dans sa maison « l'hermitage » dans le Mont Saint-Michel, la copie exacte de sa cheminée dans sa chambre (ca sera le seul grand luxe qu'elle voulut bien s'offrir de toute sa vie).
Et pourquoi l'omelette me direz-vous ?
Rappelez-vous les premières impressions d'Annette lors de son arrivée ; le froid, la peur de traverser cette baie pour un seul résultat : la faim « énorme » à la mesure de ces émotions. Annette possède sur le « continent » une gentilhommière qu'elle appelait « ma campagne » qui se trouvait à l'emplacement actuel de hôtel « Le Relais Saint-Michel » avec cette vue aussi incroyable que splendide sur le Mont Saint-Michel : « la plus belle vue de la baie », disait-elle. Et elle avait raison !? L'omelette était la chose la plus simple, la plus rapide à faire. Des enfants prévenaient toujours Annette de l'arrivée d'éventuels voyageurs. Les marées ponctuaient sa vie et Annette battait ses œufs. Ce n'était à l'époque qu'une amuse-bouche pour faire attendre le poulet à la broche ou le civet de lièvre... Mais, Dieu qu'elle est bonne cette omelette.
On fait toujours l'omelette au feu de bois dans la grande cheminées de granit de l'hôtel Poulard. Mais la préparation et la façon de battre les oeufs reste le secrets de la maison (DR).
Devant les sourires ravis de ces rencontres d'un jour avec la bonne humeur, les yeux rieurs, et la franche convivialité de la Mère Poulard, tout cela ne pouvait laisser un doux souvenir... Et qu'une envie de toujours revenir.
EXTRAIT DU DOSSIER " LE MONT SAINT-MICHEL" (publié dans Patrimoine Normand n°04).
» Le Mont Saint-Michel
» L'héroïque résistance des chevaliers du Mont
» L'ordre de Saint-Michel
» La forteresse
» La belle histoire d'Annette Poulard
» La ville
» L'église Saint-Pierre
» L'abbaye
» La merveille
» L'église abbatiale et la vie spirituelle
» Les imaginaires du Mont Saint-Michel
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