Ludovic Cahagnier, professeur de lettres-histoire à l’Institut Lemonnier de Caen, instigateur du projet européen. (© Rodolphe Corbin)
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Comment sensibiliser les nouvelles générations à l’héritage historique et les convaincre de la nécessité de préserver la mémoire, tout en s’ouvrant aux autres ?
À cette triple question, deux professeurs de lettres-histoire de l’Institut Lemonnier de Caen, Ludovic Cahagnier et Thierry Bogacki, ont répondu en concevant un projet original : réunir trente élèves de trois nationalités impliquées dans la bataille de Normandie (dix jeunes Polonais, dix Allemands et dix Français), pour une réflexion commune autour de la Seconde Guerre mondiale et sur l’importance de cette bataille dans la construction et l’identité européenne.
Regards croisés
Dès septembre 2018, chaque groupe d'élèves a commencé à travailler sur le projet afin de s’en approprier les objectifs et de permettre à chaque jeune d’en devenir acteur. Cela s’est matérialisé par des formations auprès d’historiens et de guides conférenciers, le but ultime étant de mener les visites sur sites en accueillant les élèves étrangers.
À partir de février 2019, chaque groupe a donc reçu les deux autres, les lycéens français et polonais prenant d’abord la direction de Stuttgart. Leurs camarades allemands les ont entraînés à la découverte des hauts lieux historiques de leur ville, comme le Höhenpark Killesberg, où étaient autrefois internés les Juifs de la région avant leur déportation vers les camps de la mort, ou encore le Stauffenberg Memorial, consacré aux frères Carl et Berthold von Stauffenberg, âmes de la Résistance allemande au nazisme et cerveaux du complot avorté visant à assassiner Hitler, le 20 juillet 1944.
Lors de leur séjour en Normandie, au moment du 75e anniversaire du Débarquement en juin 2019, Allemands et Polonais ont visité le Mémorial de Caen, rencontré témoins et spécialistes, appris les rôles joués par le commando Kieffer, les femmes et les hommes de la Résistance française, et les civils. Après un crochet par Bloody Omaha (Omaha la sanglante), ils ont pu se recueillir dans les cimetières de La Cambe (Allemagne) ou de Grainville-Langannerie (Pologne), ainsi qu’au Mémorial de Montormel, où les unités de la 1re DB polonaise fermèrent la poche de Falaise.
À Minsk Mazowiecki enfin, au mois d’octobre 2019, Allemands et Français ont exploré les conséquences du conflit sur le front de l’Est, en se rendant notamment au camp de concentration de Stutthof (65 000 victimes, dont 27 000 Juifs), avec sa chambre à gaz et ses fours crématoires, sur les débris du mur cernant le ghetto de Varsovie, ou encore sur la Westerplatte de Gdansk, là où le cuirassé Schleswig- Holstein tira les premiers coups de canons de la Seconde Guerre mondiale, le 1er septembre 1939.
L’ensemble de ces rencontres et de ces voyages a donné lieu à la réalisation d’un documentaire remarquable, intitulé Normandie, une histoire européenne, qui devrait être projeté dans divers lieux publics cette année, en fonction de l’évolution de la situation sanitaire bien sûr. Il est cependant d’ores et déjà disponible gratuitement sur la plateforme Youtube. Une ode à la paix qu’un jeune allemand résume simplement ainsi : « Cette expérience concrète nous a mieux fait comprendre à quel point la guerre est une chose inconcevable. » De quoi donner à réfléchir, en cette époque incertaine où les hurlements, les insultes, voire les coups, remplacent la réflexion, la mesure et l’acceptation de l’altérité…
Documentaire Normandie, une histoire européenne.
Des Vikings aux Normands
Ludovic Cahagnier a décidé de renouveler l’expérience en 2020-2024, accompagné cette fois-ci de sa collègue Élodie Lechevallier, également professeure de lettres-histoire. La thématique choisie ramènera loin dans le passé, puisqu’il s’agît d’évoquer l’importance de la Normandie dans la constitution de l’identité de notre continent. Ils ont ainsi nommé leur projet Normandie, carrefour culturel et historique européen, des Vikings au royaume normand de Sicile.
En d’autres termes, on entend ici mettre l’accent sur le rôle que notre province, fondée il y a onze siècles par les Scandinaves, joua sur la scène européenne, allant jusqu’à conquérir l’Angleterre et même fonder un royaume au sud de l’Italie. Il faut pour cela nouer des liens avec des établissements de trois pays : le Danemark, dans la région de Copenhague ; la Norvège, près de Bergen ou d’Ålesund (dans les parages du comté de Møre, d’où était originaire Rollon selon les sagas islandaises) ; l'Italie, à Palerme (Sicile). Sur les traces des Vikings donc, mais aussi des frères de Hauteville et de tant d’autres figures hautes en couleur.
Les éléves de l’Institut Lemonier sur le chantier de construction d’une chapelle du Xe siècle, dans le parc Ornavik. (© Rodolphe Corbin)
Photo de droite : Au parc Ornavik, le hangar est prêt à accueillir son bâteau viking ! (© Rodolphe Corbin)
Le parc Ornavik, que nos lecteurs assidus connaissent bien et que nous avions présenté dans notre hors-série consacré aux Vikings, est partenaire de ce projet valorisant. Ce partenariat a d’ailleurs déjà commencé, avec la réalisation de dix boucliers par les élèves de l’école de production ossature bois de l’Institut Lemonnier, et leur professeur, Julien Villain. Ils orneront un vaisseau viking commandé au chantier naval d’Ålesund, en Norvège. Tout au long de l’année scolaire, une quinzaine d’élèves du lycée professionnel participent à un chantier d’archéologie expérimentale, en construisant une chapelle du Xe siècle. Un message de respect mutuel et de tolérance religieuse qui, en ces temps de radicalisation et de haines tonitruantes, a de quoi mettre un peu d’humanisme au cœur de cette jeunesse, dans la sphère de pensée de François de Malherbe, de Christiern Pedersen, de Jens Nilssøn et d’Antonio Beccadelli.
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