Ce dessin présente quelques termes d’origine scandinave utilisés dans les parlers normands dans les siècles passés. Certains sont sortis de l’usage, d’autres survivent comme « mielle », « melgreux », « houlles », « fio », etc. (© Patrimoine Normand.)
Dans le précédent numéro, l’article sur les « Vikings en Cotentin » évoquait les noms des colons scandinaves conservés par la toponymie. Mais ils ont aussi décrit le paysage, ce que nous allons voir maintenant.
Quand, en Cotentin, on vous dit « les maoves passent au-dessus du melgreux qui pousse sur les mielles », on ne peut facilement imaginer que trois des mots de cette courte phrase sont d’origine scandinave, et pourtant… En Islande, on utilise encore, presqu’intacte, la langue que parlait les Vikings. Les « maoves » (mouettes dans le parler normand du Cotentin) retrouvent leur origine dans mâva (pron. « maova ») encore utilisé en Islande. Là-bas, l’oyat (melgreux dans le parler normand du Cotentin) est toujours appelé melgraes et les dunes de sable (mielles en Cotentin) sur lesquelles il pousse, sont toujours désignées sous le nom de melar. Outre ces termes d’origine scandinave qui survivent dans le parler normand du Cotentin, d’autres sont passés dans le français par le normand comme le homard (humar en islandais), babord (bakbordi en vieux norrois et en islandais), tribord (styribordi en vieux norrois et en islandais), cingler (sigla en islandais), etc.
D’autres termes ont disparu, au fil des siècles de l’usage dans les parlers normands. Leur utilisation passée s’est « fossilisée » dans des formes « romanes » dans des noms de lieux précédés des articles « La » ou « Le ».
Ainsi, « le Tourp » désigne un village (thorp en vieux scandinave), « le Tot » (toftir en vieux scandinave, islandais) est un hameau (en fait un « endroit libre pour une ferme »). « Le bec » (bekk en vieux scandinave, baek en danois moderne) est un ruisseau qui coule dans « la dalle » (dalr en vieux scandinave). « La londe » (lund en scandinave) est un bosquet et s’oppose au « thuit » (thvaitr en vieux scandinave) qui est un essart. C’est ainsi qu’on trouve, dans l’Eure, plusieurs villages commençant par le terme « thuit » (Le Thuit-Anger, Le Thuit-Simer et Le Thuit-Signol) rappellant des essarts créés au sud de la « Forêt de la Londe » ! Au-dessus d’un « thuit » ou d’une « dalle » peut se dresser une « hogue » ou « hougue » (du vieux scandinave haugr), comme « la Hougue » de Saint-Vaast, il s’agit d’un tertre ou d’une colline. Dans un secteur marécageux, autrefois envahi par les eaux, se dressait un « homme » (du scandinave holm) qui désigne un îlot. On évoquera le nom ancien de l’Ile Marie (à l’ouest de Chef-du-Pont dans la Manche), autrefois le « Holm » ou Le Hommet en bordure du marais de Baupte. Une « houlegate » (holgata) est un chemin creux qui passe à côté d’un « buret » (« appentis », terme encore usuel, venant du scandinave bûr) ou de « Boëls » (du scandinave bœli, lieu de séjour ou de refuge). Le long d’un champ, une « banque » est une levée de terre.
Campement viking reconstitué cet été au milieu des « mielles » de Carteret, face aux îles portant des noms scandinaves : Jersey, Guernesey. (Photo Georges Bernage © Patrimoine Normand.)
Quittons les terres pour rejoindre le bord de mer, paysage familier pour les Vikings et celui par lequel ils ont abordé notre région. Dans le Cotentin, les baies, des « Vics » (du vieux scandinave vîk), sont encadrées par des caps, des « Nez » (du vieux scandinave nes), comme le Nez de Jobourg ou le Nez de Voidries (sans parler de noms maintenant oubliés comme le Sarnes - Pointe de Saire - ou le Helgenes). Dans ces « nez » rocheux on peut distinguer des trous, des « houlles » (vieux scandinaves hol). Dans le parler normand, on dit « ebbe » quand la mer est basse et « fio » quand elle est haute, deux termes venus du scandinave. Au large, un haut fond est appelé une « grunne » (du scandinave grunn). D’autres termes sortis de l’usage sont encore d’origine scandinave comme le Sund de Chausey (sund est un détroit en scandinave), le rocher Dranguet (de drangur en vieux scandinave/ islandais, « rocher pointu en mer ») au large de la Pointe de Saire, ou les « équets » (de sker « rocher en mer ») dans Vitéquet, etc. N’oublions pas non plus tout ce qui vit dans la mer comme la « fiondre », le « hâ », les « rans », etc. Tout ceci nous montre qu’il y a mille ans, la langue scandinave pouvait être dominante dans certains secteurs de Normandie, surtout en Cotentin, en pays de Caux et sur la frange maritime du pays d’Auge, que le bilinguisme devait régner dans d’autres secteurs. Ces îlots, isolés au milieu du monde roman ont dû régresser régulièrement, d’autant plus que les ducs de Normandie, après l’An Mil, ont prôné l’intégration. Et le latin, utilisé dans les actes officiels et dans les abbayes a accéléré cette assimilation. Plus de mille ans après, les parlers normands conservent les ultimes témoignages de ce parler scandinave et les noms de lieux en rappellent quelques termes perdus de l’usage au cours des siècles passés.
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