1940 et 1944, la Normandie a été particulièrement touchée par la guerre. La reconstruction a contribué à reloger les populations sinistrées qui avaient été par ailleurs, meurtries par des drames humains terribles comme au Havre surtout mais aussi à Caen, Saint-Lô et dans de très nombreuses localités. Il n’a par contre jamais été prévu de compenser la perte en patrimoine. Il fut alors dit aux habitants de Lisieux par le ministre de l’époque qu’on ne leur referait pas une architecture en colombages qui était une « architecture de bourgeois » (sic !)… Résultat, Lisieux avec ses immeubles de briques à toits plats est devenue l’une des plus laides villes de France alors qu’elle était avant guerre la plus belle cité de France pour le pan de bois – quelle incurie ! Dans la même période, les Polonais, qui n’avaient plus rien, reconstruisaient le centre de Varsovie à l’identique (du XVIIIe siècle) pour conserver l’âme de leur pays. Au-delà du « mal vivre » dans des cités tristes et sans âme, il y a un colossal manque à gagner. Si le centre de Lisieux par exemple eut été restituée, il attirerait peut-être autant de visiteurs que le Mont Saint-Michel. Le Havre ancien valait largement Honfleur – on se donne parfois bonne conscience en disant qu’il était insalubre mais on oublie qu’on sait très bien résoudre ces problèmes dans l’habitat ancien qui, une fois rénové, ne se dégrade que très lentement ce qui n’est pas le cas des constructions d’après guerre. Au cours de notre travail « sur le terrain », à côté de constructions de pierre qui tiendront un peu plus longtemps, nous avons noté l’état de dégradation déjà avancé de nombreux immeubles où dominent le ciment ou le béton et qui devront être rasés d’ici une génération. Le Havre tombe en ruines, cette architecture sinistre avait été présentée comme une grande réalisation. Dans un siècle, il ne restera plus grand chose de l’architecture du XXe siècle alors que les maisons en pans de bois seront toujours là si elles sont normalement entretenues et préservées.
Notre province, autrefois très riche, possédait un patrimoine exceptionnel, il en reste de très nombreux témoignages mais elle a subi des pertes terribles il y a une cinquantaine d’années jamais compensées par la nation. À côté de la recension du patrimoine encore existant, afin qu’il puisse subsister, il est important de relever et présenter celui qui a disparu afin qu’il soit une base aux reconstructions qu’il faudra faire au XXIe siècle. Il faut que les erreurs du passé nous apprennent à construire pour le long terme – Colbert ne faisait-il pas planter des chênes pour nous, pour « dans trois siècles ». Cela sera à long terme plus économique que d’édifier du médiocre qui ne tient guère au-delà de cinquante ans. Dans ce numéro, nous présentons Caudebec qui a beaucoup perdu – restituée elle attirerait plus de touristes que Honfleur et subit ainsi un grave manque à gagner – mais qui possède encore un patrimoine exceptionnel qu’il faut découvrir. Autour de ce cœur intact, la ville de Caudebec souhaite mieux faire connaître son « patrimoine disparu » que nous vous présentons au fil des pages du dossier, il est un modèle de qualité.
Georges Bernage
Photo : Georges Bernage (© Eric Bruneval - Patrimoine Normand).