Colbert Marie, à l'allure éternellement juvénille. (Document Kleber Marie)
Maison d'arrêt de Caen. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand) |
Le 6 juin 1944, les nazis fusillent près de 80 prisonniers de la maison d'Arrêt de Caen. Parmi eux, Colbert Marie, arrêté le mois précédent. Il n'avait que 17 ans.
Né le 10 octobre 1926 à Montpinçon, Colbert est le cinquième d'une fratrie de neuf enfants. Originaire du pays d'Auge, son père exerce d'abord le métier de bourrelier au Billot-Montpinçon, où la mécanisation l'oblige à compléter ses revenus en se livrant à des tâches annexes comme la réparation de matelas, tandis que sa mère garde des nourrissons.
Une annonce du 43e Régiment d'Infanterie allait changer le destin de la famille, pour le meilleur et pour le pire. En 1932, Auguste Marie est recruté par l'Armée de Terre comme bourrelier qualifié. Le voici désormais caennais, logé près de son lieu de travail dans un pavillon jumelé du quartier de Vaucelles, au 30 rue Louis-Le-Châtelier.
Très vite pourtant, la dureté de la vie oblige les parents à envoyer Colbert à Vaudeloges chez son parrain, où il aide à la ferme, avant de pouvoir retourner à Caen où il reprend une scolarité normale. Le certificat d'études en poche, il apprend le métier de boucher, ainsi que ses quatre frères.
Les années de guerre
L'Occupation est vécue comme chez la majorité des Français : sans aucune sympathie pour l'ennemi, mais sans implication dans une Résistance difficile à intégrer, surtout pour des adolescents soucieux de gagner leur vie. En 1942, son frère Kléber est arrêté après le couvre-feu, et envoyé malgré son jeune âge (il n'a que 17 ans) à Saint-Martin-de-Varaville dans la Manche pour construire le Mur de l'Atlantique avec l'organisation Todt. À la faveur de la tentative de débarquement allié du 19 août 1942 à Dieppe, il réussit à récupérer ses papiers, s'enfuit à pied et prend le train à Carentan pour rentrer à Caen. Contrôlé sans titre de transport, le cheminot l'aide à parvenir sans encombre à destination, et à quitter la gare en évitant les Allemands. Il partira ensuite en Savoie pour se faire oublier, avant de rentrer l'année suivante pour reprendre un emploi de boucher rue d'Auge.
Ces péripéties ne font pas des Marie une famille de Résistants. Jeune homme enjoué amateur de musique et de sport, Colbert pratique la boxe à la salle des cheminots de Vaucelles où il se fait des amis, notamment les frères Boutrois, Achille et Michel, plus âgés que lui de sept et un an. Ouvriers au dépôt SNCF de la gare de Caen, ils appartiennent l'un et l'autre au groupe de résistance du Front National, d'obédience communiste. Garçon boucher rue de Falaise, Colbert est un garçon comme tous ceux de son âge, qui fréquente la jeune Gisèle, qu'il appelle Gigi, ou Giséla. Rien ne laisse entendre qu'il ne verra pas la fin de la guerre.
Colbert Marie et son amie Gisèle. (Document Kleber Marie) |
Achille et Michel Boutrois. (Document Kleber Marie) |
Son destin se noue le 15 mai 1944. Ce jour-là, la Gestapo et leurs auxiliaires français entreprennent une vaste opération de ratissage anti-communiste, retenue par l'Histoire sous le nom de « rafle de Vaucelles ». Colbert est alors chez sa grande sœur Yvette, au premier étage du logement qu'elle occupe rue de Branville avec son mari. Non loin de là se trouve le café où les cheminots ont l'habitude de se réunir (la gare est à moins de 300 mètres), le premier endroit où la police politique est descendue pour procéder à des interpellations ciblées par les collaborateurs du quartier, particulièrement bien renseignés. Achille Boutrois est arrêté chez lui, son frère Michel dans la rue, et Colbert Marie en compagnie d'Yvette, de chez qui ils viennent de sortir.
Serge Fortier. (Document Kleber Marie) Raoul Hervé. (Document Kleber Marie) |
Les Allemands rue des Jacobin à Caen, en 1940. (© Coll. Georges Marie) |
Dans la machine nazie
On les emmène dans les locaux de la Gestapo, rue des Jacobins. Poussés sans ménagement jusqu'au premier étage, ils se trouvent nez à nez avec Serge Fortier, fils d'un garagiste du boulevard Lyautey. Il ne vient pas d'être arrêté, et pour cause : il fait partie de la sinistre « bande à Hervé », dont il fut la première recrue ; Raoul Hervé et lui exercent le même métier de garagiste. Avec d'autres collaborateurs tels Joseph Martine, Jean Laronche, Pierre Bernardin et d'autres membres du PPF (Parti Populaire Français), ils se sont mis au service de la police allemande en tant que mouchards, supplétifs et exécuteurs des basses œuvres. Ils infiltrent les réseaux, arrêtent les Résistants et les torturent pour les faire parler. Sous une apparence de bon catholique qui fréquentait la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) pendant son adolescence, Fortier est efficace dans sa triste besogne : il n'a pas hésité à faire arrêter Maurice Arrot, son propre beau-frère. Il connaît tout le monde à Vaucelles, puisque les jeunes ont fréquenté la même école.
Ce 15 mai, à la Gestapo, Fortier annonce : « Toi, Colbert, je te connais, tu peux partir ». Yvette est témoin de la scène et voit son frère quitter la pièce. Elle sera relâchée, les nazis ne pouvant rien retenir contre elle. Quand elle quitte les locaux de la rue des Jacobins, elle est persuadée de le revoir dans la journée.
Il n'en sera rien. Colbert Marie a été saisi au bas de l'escalier et envoyé en cellule où il sera torturé à coups de nerfs de bœuf par Fortier et ses sbires, avant d'être incarcéré à la Maison d'Arrêt. Il n'en sortira pas vivant.
Ne le voyant pas revenir, sa famille s'inquiète. Sa mère finit par apprendre où il se trouve, mais les prisonniers politiques (il est considéré comme tel) ne peuvent recevoir aucune visite. Tout au plus l'autorise-t-on les premiers jours à récupérer le linge sale de son fils pour le remplacer par du propre. C'est ainsi qu'elle trouvera parmi ses effets un mouchoir où Colbert a rédigé un ultime et poignant message, écrit avec son sang. Avant un dernier appel à l'aide et son adieu à ceux qu'il aime, il y raconte son arrestation et révèle que Fortier en est à l'origine.
« Maman, j'ai été arrêté comme étant communiste par Fortier. Va le voir, explique-lui que je suis innocent, car j'ai reçu des coups de nerf de bœuf. S'il n'y avait pas Gisèle, je ne serais plus vivant. Dis à Roger de dire bonjour à tout le monde et à Kléber de venir avec l'Allemande de Littry et à Sobry de dire à Raymond de parler pour moi. Mille baisers à petite Gigi, Maman, Papa, Yolande et aux amis. À bientôt. Je suis innocent. »
Les derniers mots de Colbert à sa mère écrits sur un mouchoir avec son sang. (Photo Laurent Corbin © Patrimoine Normand)
Dès la libération de Caen en juillet, ses parents se rendent avec d'autres familles de détenus à la prison où ils comprennent le massacre qui a été commis au matin du 6 juin 1944. Toutefois, ils espèrent que son jeune âge a fait épargner leur fils, qu'il a été transféré ailleurs, qu'il vit encore quelque part. Ils placardent des affiches, des avis de recherche, dans l'espoir d'un renseignement. En vain. Peu à peu, l'évidence s'impose à eux : Colbert a partagé le sort des quelque huit dizaines de prisonniers exécutés le jour du Débarquement.
Après la Libération, Serge Fortier sera à son tour interpellé et jugé, notamment sur la foi du message accusateur écrit sur le mouchoir. On le fusille le 9 mai 1946 avec d'autres collaborateurs. Où sont les corps de Colbert et de ses compagnons d'infortune ? Le mystère reste entier. Aujourd'hui encore, son frère aîné Kléber espère que la vérité éclatera un jour, et souhaite que, si jamais on retrouve les corps, surtout on ne les sépare pas.
Plaque aux fusillés de la maison d’arrêt de Caen. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand)
Toujours affecté par la dramatique disparition de son frère, Kléber Marie ne peut dissimuler sa peine en nous présentant le mouchoir de Colbert. « Notre pauvre mère le trouva par hasard, dissimulé dans un paquet de linge sale, écrit en lettres de sang. Désespéré, Colbert crie son innocence, demande de l'aide et désigne Fortier comme responsable de son arrestation. Après la Libération, mon père porta ce témoignage au procès de la Gestapo caennaise. Cette pièce fut déterminante : Fortier fut condamné à mort et exécuté, mais si la justice fut rendue, cela ne nous rendra pas Colbert. Pour nous comme pour toutes les familles de disparus, la blessure de cette tragédie reste ouverte. La Gestapo a fait disparaître les corps qui n'ont jamais été retrouvés, rendant notre deuil impossible. Notre famille conserve précieusement les derniers mots de Colbert. Nous avons conscience que son témoignage s'adresse à tous, notre souhait est de le confier à un musée, pour transmettre son histoire aux jeunes générations, dans l'espoir que le sacrifice de cet enfant innocent ne tombe pas dans l'oubli, que sa mort ne soit pas totalement inutile. » (Photo Laurent Corbin © Patrimoine Normand)
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