Daté des années 4200-4000 avant J.-C., Le tumulus de Colombiers-sur-Seulles appartient à l’un des types les plus anciens du mégalithisme occidental dont il est, par ailleurs, le seul représentant en Basse-Normandie. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand.)
Chambre funéraire du tumulus de Colombiers-sur-Seulles. Ce monument est avant tout une tombe. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand) |
Antérieur de deux mille ans aux pyramides égyptiennes ! Le tumulus de Colombiers-sur-Seulles, dans le Bessin, accuse 6200 ans d’âge. À ce titre, il est le plus vieux monument de pierre recensé en Normandie. Ce rare joyau néolithique vient d’être ouvert au public, après une longue campagne de restauration.
Le fruit de la sédentarisation
Pendant des milliers d’années, l’homme a vécu au gré de ses déplacements, vivant de cueillette et de chasse, sans cesse à la recherche de territoires plus ou moins hospitaliers où il prélevait sa subsistance. Jusqu’à la révolution néolithique : environ 5000 ans avant notre ère, des peuplades se fixent le long des côtes de la Manche où elles inventent… l’agriculture ! L’élevage se substitue peu à peu à la chasse, sans toutefois totalement la remplacer, et la cueillette cède une large place à la domestication des espèces végétales. Le chien, vieux compagnon des chasseurs, devient un animal familier. Bovins, chèvres, brebis, cochons sont domestiqués ; les céréales – orge, seigle, avoine… – côtoient les pois et les lentilles. Et le lin, appréciable source vestimentaire qui prend toute sa mesure en cette bande côtière favorable à son essor. Le chasseur-cueilleur nomade est devenu un paysan sédentaire indéfectiblement lié à sa terre, un nouveau mode de vie qui allait engendrer de nouvelles pratiques sociales et technologiques.
Ainsi naissent les premiers monuments mégalithiques : les cairns, simples empilements de pierres, dont relève celui de Colombiers-sur-Seulles ; c’est donc par abus de langage et souci de simplification qu’on l’appelle tumulus, ce terme impliquant un tombeau fermé (tumulus = tombe en latin), ce qui n’est pas le cas de notre rescapé du Bessin.
La chambre funéraire a un diamètre de 2,20m ; elle est pourvue d’un couloir d’1,50m de long. Les dalles verticales étaient surmontées d’une coupole dotée d’une voûte en encorbellement. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand)
Voici 6200 ans se généralise la pratique collective de rassembler les morts, non enterrés, dans des chambres funéraires cernées d’un édifice de terre et de pierre. Une architecture qui indique le désir de construire pour de nombreuses années ; peut-être pour l’éternité ? Faute de documents – et pour cause ! – rien ne nous permet à ce jour d’affirmer cette intention. Pendant ce temps, à proximité, les vivants se contentent de simples huttes de bois et de torchis, couvertes en chaume. Taillée ou polie, la pierre est au centre du savoir-faire de ces vigoureux ancêtres. La vannerie naît à cette époque ; et surtout la céramique, dont la seule apparition justifierait le nom de révolution néolithique. Certains historiens voudraient même faire démarrer l’Histoire, non à l’invention de l’écriture, mais lors de cette innovation technologique. Cette longue période ne prendra fin qu’avec l’avènement de l’Âge du Bronze, quelque deux mille ans avant notre ère.
De forme trapézoïdale très allongée, le « tumulus » (appelons-le ainsi, tout comme on nomme « tapisserie » la broderie de Bayeux !) de Colombiers est orienté d’est en ouest, ce qui témoigne déjà d’une évidente influence solaire qui prendra tout son sens dans les édifices religieux ultérieurs, jusqu’au plan-type du temple chrétien, dont le modèle culminera avec celui de l’église bénédictine. Les hommes prennent conscience de leur assujettissement aux forces de la nature ; parallèlement, apparaît le concept de puissance surnaturelle. La religion animiste succède à la magie. Par le biais de la stylisation, l’art passe de la représentation du réel à la création de symboles.
Le tumulus sert de tombeau ; pour autant, s’agit-il d’un monument religieux lié au culte des morts ? On peut le supposer, sans toutefois être en mesure d’en apporter la preuve. Ce qui est certain, c’est que, fruit d’un travail collectif, il constitue un lien entre le sol et ses habitants, il est le symbole de leur unité et de leur enracinement sur un territoire. Après des millénaires d’errance, la notion plus ou moins consciente de patrie n’est pas très éloignée de leur démarche : ils construisent là où ils se sont fixés et entendent y laisser des traces. Le tumulus exprime l’unité du groupe humain qui l’a bâti.
Très allongé (60 mètres), le tumulus est de forme trapézoïdale. Sa largeur varie de 9 à 16 mètres. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand)
Dans la chambre funéraire, Vincent Hincker, archéologue du Service départemental d’archéologie du Calvados, artisan de la restauration du tumulus.(Photo Thierry Georges Leprévost © Patrimoine Normand) |
Un monument imposant et complexe
La masse du tertre est constituée de terre et de pierres accumulées sur une longueur de 60 mètres et une largeur de 9 mètres à l’ouest, et de 16 mètres à l’est. Elle a conservé en sa partie orientale une hauteur de 2,70 mètres. L’extérieur de l’édifice est ceinturé d’une succession de parements que forment des murets de dalles sèches en calcaire au minutieux appareil qui déterminent des terrasses.
Ce système de double parement fait progressivement place à un système plus complexe vers la partie la plus large du tumulus. La masse du tertre était à l’origine dotée d’un réseau de cloisons en bois disposées suivant un plan orthogonal : des cloisons transversales prenaient appui sur une cloison axiale unique disposée sur la ligne centrale de l’édifice. Faute d’un rôle architectural, à quoi les pièces déterminées par ces cloisons internes servaient-elles ? On l’ignore. Trois hypothèses principales s’affrontent dans leur interprétation : des unités de construction liées à la division du travail, modules individuels dévolus à chacun des auteurs du monument (solution d’ordre purement pratique) ; des chambres à vocation symbolique (explication d’ordre religieux) ; métaphore de la maison des vivants transposée dans celle des morts (hypothèse métaphysique relevant d’un pouvoir d’abstraction supérieur).
Conçue selon un plan circulaire de 2,20 mètre de diamètre, la chambre funéraire est cernée par une tranchée en forme de fer à cheval où ont pris place six grosses dalles verticales (dites orthostrates) qui supportaient une coupole composée d’une voûte en encorbellement. Son couloir d’accès d’1,50 mètre s’ouvre au nord, barré à l’extérieur par des dalles en forme de linteaux. Chambre et couloir tiennent dans un espace restreint de moins de cinq mètres de large entre la cloison axiale et le parement externe, témoin d’une étonnante disproportion entre l’ensemble du monument et sa raison d’être. Les pillages dont a été victime le tumulus nous privent, hélas ! de la connaissance de son mobilier et ne permettent pas de dire combien de défunts y trouvaient place.
Un parallèle a été fait entre ce type de monument et les pratiques de certaines peuplades actuelles, notamment malgaches, qui mettent leurs morts en des lieux comparables et les en sortent à intervalles réguliers, selon un calendrier immuable qui leur permet de se retrouver avec eux pour des rites ancestraux. Etait-ce le cas des premiers habitants du Bessin ? Là encore, on doit se limiter à des hypothèses.
Le menhir de Colombiers-sur-Seulles situé dans l’axe du monument. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand) |
Près de deux siècles de recherches
Fouillé sommairement une première fois en 1830 par Arcisse de Caumont, le tumulus de Colombiers-sur-Seulles l’a été de nouveau par Edouard Lagnel en 1969, puis entre 1989 et 1997, sous la double direction franco-britannique d’Antoine Chancerel et de Ian Kinnes qui en font enfin une étude exhaustive. Deux ans plus tard, le Conseil Général du Calvados s’en porte acquéreur ; son service d’archéologie entreprend alors une scrupuleuse restauration qui s’est achevée ce printemps. Restauration, mais aussi valorisation : fléchage et aménagement du site, mise en place d’un panneau didactique expliquant le monument, surveillance et protection, visites pédagogiques. Un partenariat avec des organismes de formation professionnelle et d’insertion sociale a permis pendant cinq années d’associer dans le même chantier-école diverses catégories de stagiaires de 15 à 25 ans, de l’agglomération caennaise et du bassin virois. La renaissance de cet unique représentant normand du mégalithisme néolithique occidental le plus ancien (pour comparaison, les plus vieux dolmens de Carnac ne remontent qu’à la fin du IIIe millénaire avant J.-C.), offre désormais un nouveau but de promenade pour les touristes de Normandie et d’ailleurs.
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