Pommiers en fleurs en Pays de Caux. Ci-contre : « Reine des Reinettes » : le pommier de cette variété est agent pollinisateur. Le fruit est savoureux aussi bien cru que cuit. (Photos Alexandre Vernon © Patrimoine Normand.)
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La pomme, fruit de l’Arbre de Vie et de la Connaissance est, depuis la nuit des temps, le symbole universel de la séduction et de l’offrande, du Bien et du Mal. La pomme, c’est ce fruit d’or de l’immortalité que vola Héraclès au jardin des Hespérides, et aussi ce fruit de la tentation et de la déchéance que croquèrent Adam et Eve au jardin d’Eden. Mais, depuis toujours, la pomme est ce fruit chargé de mystère, unique et multiple à la fois, dont bien des artistes tels Cézanne ou Magritte s’inspirèrent pour en saisir l’intemporalité.
La pomme aujourd’hui ? Mais c’est la Normandie ! Elle en est la gloire et en possède la saveur. Ainsi que le chantait Lucie Delarue-Mardrus :
« L’odeur du pays était dans une pomme,
« Je l’ai mordue avec les yeux fermés du somme.
« Combien de fois, ainsi, l’automne rousse et verte
« Me vit-elle au milieu du soleil et, debout,
« Manger les yeux fermés la pomme rebondie
« De tes prés, copieuse et forte Normandie ?...
« Ah ! Je ne guérirai jamais de mon pays... ».
Elle en est aussi l’ornement quand, au printemps, les pommiers forment des grosses touffes rosées, épanouies, dans le vert tendre des prairies. La pomme serait donc un fruit spécifiquement normand ? L’Histoire ne le prouve pas explicitement. À coup sûr, elle nous viendrait de l’Orient, connue dès l’Antiquité par les Grecs et les Égyptiens. Et ce sont les Croisés qui la ramenèrent dans nos régions. On raconte même que ce sont les Basques de La Biscaye qui en 1573 apportèrent le « sildre » en Normandie et que c’est un certain gentilhomme espagnol Darous de l’Estre, débarquant un jour dans le Cotentin, qui y introduisit du côté de Valognes les meilleures variétés de pommes douces parvenues jusqu’à nous. On sait aussi que le pommier était considéré comme arbre sacré par les Druides celtes. Au Moyen Âge, la Normandie constitue le principal verger du pays, notamment dans le calme des monastères. C’est à cette époque que l’on constate le développement de cette culture quand le cidre remplace la cervoise. Mais le cidre d’alors, issu de pommiers sauvages, devait être de piètre qualité. C’est donc beaucoup plus tard, vers le XVIIIe et surtout au XIXe siècle, que la culture du pommier se généralisa et gagna une grande partie de la Bretagne et de la Normandie pour obtenir le cidre mousseux tel que nous le connaissons de nos jours et les pommes joufflues et croquantes sur nos tables.
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Une infinité de variétés
Malheureusement les pommes se sont égayées un peu partout, perdant ainsi leur spécificité et leur goût du terroir. Il en existe une telle variété ! Il faut savoir en effet que les pommiers, de par leur caractère d’espèces auto stériles - c’est-à-dire par leur méthode de fécondation particulière qui veut que le pollen d’une variété d’arbre ne peut féconder les ovules des fleurs de cette même variété, exigeant de ce fait le recours à la greffe pour produire une copie de la variété que l’on désire stabiliser - donnent des variétés infinies, embrouillant les recherches des pomologues. C’est ainsi que l’on estime à plusieurs milliers les variétés de pommes en France, et à plusieurs centaines celles que l’on trouve en Normandie. Un calcul d’autant plus imprécis que certaines variétés de pommes portent plusieurs noms suivant leur lieu de culture et que la même appellation peut, en revanche, désigner des variantes d’une même espèce ayant évolué dans différentes directions.
D’autre part, il fut un temps où l’on incita à détruire les pommiers ; au nom sans doute de la sainte productivité ! Le courant tend heureusement à s’inverser et si les vergers retrouvent par endroit les beaux pommiers d’antan, en haute et basse tige, on recherche de plus en plus l’authenticité jusqu’à créer des conservatoires de la véritable pomme de Normandie.
L’authenticité du terroir
Jean-Pierre Vittecoq et son épouse, dans le manoir de La Poulaillerie à Auzouville-Auberbosc en plein cœur du pays de Caux, ont constitué de leurs mains, et sans aide d’aucune sorte, un verger conservatoire unique de quelque 1 200 variétés anciennes de pommes, spécifiques de la région Haute-Normandie, dont sur 3 ha plus de 200 de pommes à cidre. Toute sa vie a été consacrée à la pomme, passionnément. Ce fut un travail de longue haleine. Mais le résultat est là aujourd’hui avec ces belles pommes rondes et joufflues bien de chez nous, retrouvées dans leur ambiance et leur prospérité, celles que l’on croyait disparues à jamais, les Bailleul, Boskoop, Hôpital, Melrose, Richard, Calville, etc. et les innombrables Reinettes. « Il faut sauvegarder les vieilles variétés caractéristiques de notre région. Il faut planter, et replanter sans cesse, pour que nos prairies retrouvent leur identité et leur saveur. Et que l’on reprenne goût à la pomme, la vraie, celle qui nous donne équilibre et santé. » nous a dit M. Vittecoq, de toute sa conviction.
Démonstration de taille et technique de greffage par Claude Beaune. A gauche, M. Vittecoq. (Photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand.)
Tout en parcourant ses herbages émaillés de pommiers de haute tige à la tête neigeuse ébouriffée - nous étions au Printemps et les pétales tombées sur l’herbe semblaient comme des flocons de neige - il ajouta : « À la suite de mes parents, c’est a un travail de sauvegarde que j’ai entrepris depuis des années, plantant des pommiers sélectionnés, inscrivant sur ordinateur la couleur, le goût, l’aspect et la qualité de chaque variété de pomme. Un travail qui n’a jamais été réalisé jusqu’alors. Mais, en plus, je recherche toujours quelques variétés anciennes disparues pour les faire fructifier. Ainsi en est-il de la pomme « court pendu rouge » qui date de 1423, et de quelques autres... D’ailleurs grâce à toutes ces variétés de pommes anciennes nous sommes en train de créer pour notre cidre l’appellation « AOC Pays de Caux » délivré par le Comité des Pommes à Cidre à Sées dans l’Orne. »
Rever, Boskoop, Melrose, Hôpital, Clocharde, Ah ! les belles pommes de chez nous ! (Photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand.)
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Les belles pommes à croquer
Bien entendu, il n’est pas question d’utiliser des engrais chimiques. Pour ce puriste, le seul traitement valable doit être naturel et il utilise depuis toujours exclusivement le purin d’orties pour son apport en azote et aussi le purin de fougères contre les pucerons lanigères. Bien entendu, il convient de prendre grand soin de la taille des arbres comme de la sélection des greffons. C’est pourquoi Monsieur et Madame Vittecoq organisent dans la région des journées pomologiques au printemps et à l’automne, des démonstrations de taille et de greffe au cours desquelles des spécialistes de la pomme donnent leurs conseils avisés. Les belles pommes de chez nous sont alors exposées, que l’on admire, tenté de les croquer : les Reinettes de toutes sortes, grises, blanches, d’Angleterre, de Bihorel... les Melrose de la vallée de la Seine, les Pigeons de Jérusalem du pays de Bray qui ont la forme d’une poire, les Calville rouges d’automne ou blanches d’hiver, les Bénédictins tardifs, toutes mordorées et croquantes, les Belles de Boskoop, rouges de fierté et d’émotion...
« Belle de Boskoop » : pomme très répandue dans toute la Normandie. (Photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand.) | « Pigeon Rosa » : en forme de poire. Fruit d’excellente qualité au goût sucré. (Photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand.) |
Les pommes croquantes et joufflues de Normandie. (Photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand.) | « Bailleul ». Variété ancienne très répandue en Seine-Maritime. De bonne conservation. Fruit au couteau dont il existe plusieurs variétés présentant des différences de couleur, de taille, de maturité. (Photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand.) |
La réhabilitation de la pomme normande
C’est au Jardin des Plantes de Rouen que se situe le verger conservatoire, disons officiel, en pommes et en poires, sous la haute surveillance de Joël Hauville, Président de l’Association Pomologique de Haute-Normandie, dont le président fondateur était Jacques Lefebvre, récemment décédé. Joël Hauville est lui aussi un passionné enthousiaste de la pomme, et surtout de la pomme de Normandie « qu’il convient de réhabiliter et de mieux faire connaître » nous a-t-il dit en nous accueillant au Jardin des Plantes où d’ailleurs il mettait en place une grande exposition sur le fuchsia. Il faut savoir en effet que Rouen possède la plus belle collection de fuchsia en France. Mais revenons à nos pommes. Dans ce grand jardin conservatoire nous avons en sa compagnie fait le tour des variétés cultivées ici avec un soin extrême, en grande majorité des variétés typiques normandes. Nous y avons découvert la Reinette de Neubourg, la Reinette Fardel, excellente pour les tartes, la Reinette du Grand Fay, un délice à croquer, la Colapuy apportée par les Croisés, la Reinette rouge étoilée dont le cœur en forme de croix quand on la coupe en deux fait référence à la Bible, la Belle du Havre, sans oublier la Reine des Reinettes dont la fonction pollinisatrice est si importante. Au total ce sont quelque 120 variétés de pommes et 110 de poires qui, ensemble, constituent une référence indiscutable du verger normand.
La diffusion de la pomme normande
Mais l’Association Pomologique de Haute-Normandie (APHN) ne gère pas que le jardin des plantes de Rouen. Elle s’occupe également du verger de la Maison du Parc de Brotonne et de celui de Bardouville notamment d’où elle peut tirer des rameaux greffons qui sont distribués à des particuliers. En plus, à la demande de la Société des Autoroutes Paris-Normandie (SAPN), des pommiers de variétés anciennes typiques de Normandie ont été plantés le long de l’A29, dans un but bien évident de valoriser le paysage, de le marquer d’une empreinte caractéristique normande, mais aussi par une volonté de conservation du patrimoine. Ces pommiers, on peut les admirer en passant au printemps quand fleuris, ils resplendissent de blanc sur les champs de verdure du côté de Veauville-les-Baons (180 pommiers), à Ectot-les-Baons (340 pommiers), et aussi vers Yerville et Saint-Gilles-de-la-Neuville. C’est ainsi que l’Autoroute A29 de Honfleur à Amiens est devenu « l’autoroute des pommiers ».
Les activités de l’Association Pomologique de Haute-Normandie sont multiples. Car, outre la conservation et la recherche de variétés anciennes de pommes, ainsi que l’identification des fruits, l’association organise des démonstrations de greffe, tient des stands lors de diverses manifestations et surtout entreprend un travail de sensibilisation auprès des élèves des lycées agricoles avec des prises en charge de stagiaires. Après avoir participé en 2000 à l’exposition « Europomm » à Auxerre, l’APHN envisage d’organiser à son tour son « Europomm » octobre 2003 au Parc Expo de Rouen. Ce sera une grandiose manifestation qui fera de la pomme de Normandie la reine incontestée de la fête. « Nous sommes actuellement en pourparlers avec le Municipalité de Rouen, car une telle manifestation se prépare plusieurs années d’avance. Avec le soutien des collectivités locales, cette fête donnera à la pomme tout son éclat... » nous a affirmé M. Hauville.
Le pommier dans le verger normand. (Photo Rodolphe Corbin © Patrimoine Normand.)
La maison de la pomme
Dans le Marais Vernier, vaste amphithéâtre naturel de plus de 45 km2 cerné de collines, se développe une variété de pommes caractéristique de la région : la pomme de Rever. Elle y a été implantée par le curé François Rever à la fin du XVIIIe siècle et s’est rapidement imposée car c’est une pomme de première qualité. D’un goût exquis qui fleure bon son terroir, elle est aussi très appréciée en pâtisserie car, même cuite, elle reste en forme, ce qui donne notamment d’excellents douillons. Malheureusement la Rever ne se plaît que dans son pays d’origine. À Sainte-Opportune-la-Mare, la Maison de la Pomme, élément de l’Écomusée de la Basse-Seine, assure la promotion de l’arboriculture locale dont le fleuron est justement cette pomme de Rever. Mais la Maison de la Pomme, c’est aussi un musée documenté sur tout ce qui concerne ce fruit dans ses variétés spécifiquement normandes. Dans les pièces à l’étage, qui seront prochainement réaménagées, est présenté toute l’activité cidricole traditionnelle avec pressoir et outils de toutes sortes, avec aussi de nombreux panneaux explicatifs sur l’histoire de la pomme, sa récolte, ses légendes...
La Maison de la Pomme à Sainte-Opportune-la-Mare. (Photo Alexandre Vernon © Patrimoine Normand.)
La meilleure : la pomme de Normandie
L’histoire de la pomme ne s’arrête pas là. Car ce fruit chéri des dieux est en perpétuelle évolution. Des producteurs de Seine-Maritime, regroupés au sein de l’Association « Norm’envie », pratiquant une culture raisonnée avec le concours d’une assistance technique très poussée, ont choisi de commercialiser leurs pommes sous la marque « Croquine », afin de garantir leur fraîcheur et leur authenticité. Mais il est un conseil que nous a donné M. Vittecoq, un véritable passionné de la pomme, c’est celui de respecter le calendrier de consommation. « Il ne s’agit pas de manger n’importe quelle pomme n’importe quand, chaque variété ayant sa meilleure période de maturation. »
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