L’été en Normandie
Dans ces colonnes, j’ai souvent évoqué la « fantomisation » du patrimoine, ce bâti qui se cache de plus en plus derrière clôtures et digicodes, qu’on ne peut plus voir depuis la voie publique ou auquel on ne peut plus accéder malgré les « journées du patrimoine » - et ce jour-là on ne peut être partout… L’article sur la rue des Cuisiniers permet de revenir sur le sujet, en évoquant la maison des heuriers mais aussi le manoir de Beaumont-le-Richard. Le patrimoine d’intérêt général, nous n’en avons que l’insufruit, nous avons le devoir de le faire connaître et de le transmettre aux générations futures, l’auteur de ces lignes sait ce qu’il en est… L’État se décharge sur les particuliers, qu’il taxe en outre, pour le « petit patrimoine », se consacrant uniquement aux grands monuments. Mais, que serait une forêt réduite à un seul arbre d’exception…
Nous proposerons une autre formulation : « l’évaporation du patrimoine ». Malgré les efforts de restauration opérés par les particuliers et certaines communes, remettant en valeur ou restaurant un patrimoine bâti ou paysager, combien d’éléments de ce patrimoine multiforme disparaissent de manière quasi imperceptible mais pourtant exponentielle. Ce sont une maison brutalement restaurée, des bâtiments agricoles inutilisés se dégradant à côté de nouvelles stabulations plus « conformes » mais hideuses, un mobilier urbain disgracieux, des aménagements routiers agressifs, le « mitage » du paysage par des pavillons peu en accord avec l’environnement, des zones artisanales mais aussi, et plus insidieux encore, des modifications durables dans le paysage. On nous a mis en garde il y a quelques décennies devant le danger d’abattre des haies dont des centaines de kilomètres ont disparu. On a vu le résultat avec la recrudescence du vent et des inondations. En pays-de-Caux, comme le rappelle l’article publié dans ce numéro, les grandes haies de hêtres, les « fossés », des clos-masures sont menacés. Normands du « bout de la Manche » allez voir ces clos-masures formant de véritables îlots-fortins de verdure typiques du plateau cauchois ! C’est un patrimoine unique en France. Les dégradations du paysage sont lentes donc difficilement perceptibles. Au quotidien, vous en prendrez difficilement conscience. Mais repassez dans un lieu que vous n’avez pas vu depuis dix ans et vous pouvez être étonnés. La conscience est de plus en plus forte mais, devant la multiplicité des agressions, la situation est préoccupante.
Georges Bernage.